Le bruit sec des volets qui battaient au rythme d'un vent vif et sifflant réveilla Sally en sursaut. Elle était allongée au fond d'un grand lit, dans une pièce sombre qu'elle ne connaissait pas. C'était petit et cela sentait un affreux mélange de poussière et d'humidité. Tout craquait d'une manière assez inquiétante autour d'elle, dans cet endroit fait de vieux bois. Devant elle se trouvait une petite table de nuit sur laquelle rien n'était posé, à part une lampe décorée d'un petit fil d''araignée. Qu'est-ce que je fais ici? se demanda-t-elle. Une chose était sûre : elle n'était plus au quartier général des Chasseurs ailés, à Anathorey. Pourtant c'était là-bas qu'elle s'était couchée la veille ! L'avait-on déplacée dans son sommeil ?

Prise de panique, elle se redressa subitement. Les draps glissèrent, et dévoilèrent à son regard une peau brune parcourue par de nombreux tatouages blancs. Sally écarquilla de grands yeux horrifiés. Avait-elle de si longues et fortes jambes ? Et ces mains qui étaient aussi fortes que celles d'un homme ne lui appartenaient certainement pas non plus ! Elle sentit sa chevelure lui chatouiller le dos, mais celle-ci, hier brune et bouclée, était devenue blanche et raide. Était-elle devenue une vieille dame ? Pourquoi avait-elle changé d'aspect de la sorte ?

Soudain elle sentit les draps bouger derrière elle. En se levant brutalement, elle remarqua qu'elle n'était pas allongée seule dans celui-ci. Mais le comble, c'est que la personne qui s'y trouvait n'était autre... Qu'elle-même. Elle se voyait, qui dormait paisiblement, dans la chemise de nuit qu'elle avait passé la veille avant d'aller se coucher. Pourquoi se voyait-elle ainsi ? Son cœur commença à s'emballer alors qu'elle essayait de prendre conscience de qui elle était devenue.

En baissant les yeux, Sally observa le peu de son corps qu'elle pouvait observer. Elle était bien plus grande qu'auparavant, sa poitrine avait disparu pour laisser place à un torse masculin nu et musclé, elle portait une sorte de pantalon qu'elle n'avait encore jamais vu et les pointes de ses cheveux étaient d'une étrange couleur verte. Cédant à la panique, elle ne put retenir une exclamation, dont la tonalité était si grave et rauque qu'elle en prit peur encore davantage. Elle se mit à gesticuler dans tous les sens, à en perdre l'équilibre, et chuta lourdement sur le sol. Le gémissement de douleur qu'elle poussa ressemblait à un grognement bizarre... Elle n'y comprenait rien. Et comble de l'horreur, elle se vit se réveiller sur le lit !

Pourquoi se voyait-elle ? Pourquoi n'était-elle pas dans son corps ? Sally observait son image se mouvoir sur le lit sans qu'elle ne contrôle ses mouvements. Les mots que son corps prononça reflétaient exactement l'état d'esprit dans lequel elle se trouvait : « Qu'est-ce qui m'arrive ? ». Elle aurait aimé le savoir, et si elle s'écoutait elle se jetterait sur ce corps pour le réintégrer... Si toutefois l'idée d'en être sortie ne la terrifiait pas totalement ! La jeune femme, engoncée dans un corps d'homme beaucoup trop grand, beaucoup trop musclé, beaucoup top viril, était totalement tétanisée.

Au surréalisme de la scène s'ajouta le fait qu'elle vit son corps... se palper lui-même. Jamais elle n'avait ce genre de geste, hormis lorsqu'elle mettait ses sous-vêtements ! Sally se sentit rougir jusqu'aux oreilles, sans vraiment comprendre la raison à cela. Ce n'était quand même pas elle qui agissait ainsi, non ? Elle leva « sa main » devant elle. Non, visiblement elle contrôlait le corps de ce géant tatoué, et non celui qu'elle voyait devant elle.
« En tout cas si mon esprit est bel est bien mort, je dois être au paradis »
Mais c'était fini les attouchements, oui ?! Il était particulièrement gênant d'assister à ce genre de scènes ! Spécialement quand il s'agissait de se regarder soi-même, hors de soi-même, loin d'un miroir qui indiquerait qu'on observe son propre reflet. Comment s'était-elle retrouvé dans une situation pareille ? Si son corps se croyait au paradis, Sally devait se trouver quelque part en enfer !

Soudain son corps s'adressa à elle. Lui demandant ce qu'elle fabriquait avec son corps. Cette fois c'était beaucoup trop. Sally se leva, mais prise de violents vertiges, elle s'assit sur le rebord du lit, à l'opposé de celle qui lui ressemblait tant. Elle plaça ses grandes mains d'homme sur ce visage qui ne lui était pas familier, de grandes mèches de cheveux pendant juste devant des yeux dont elle ne connaissait même pas la couleur.
« Je ne comprends rien, je ne comprends vraiment rien de rien... C'est un cauchemar, je vais me réveiller, ce n'est pas en train d'arriver, ce n'est pas vrai, rien n'est vrai... »

Elle psalmodiait à voix basse d'un ton rauque si bas qu'elle aurait pu se faire peur elle-même. Passant plusieurs fois ses mains sur son visage et sa nuque, comme pour s'éveiller, elle réalisa que rien n'y faisait : elle était toujours en dehors de son corps. Soudain, le sens de la question que lui avait adressé son corps fit tout son sens.
« Comment ça, qu'est-ce que je fais avec... ? »
Elle dévala les draps à quatre pattes pour se retrouver nez à nez avec son propre visage (ce que cette situation était bizarre). Elle regarda au fond de ses yeux.
« Tu n'es pas Sally, n'est-ce pas ? Puisque Sally c'est moi, ça ne peut pas être toi ! Alors qui es-tu ? Pourquoi as-tu pris mon corps ? Qu'est-ce qui se passe ? Et qu'est-ce que je fabrique dans cet accoutrement bizarre ?? »

Elle commençait à sentir les larmes lui piquer les yeux. Ohlàlà... Quel piètre début de journée !

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